Dans l’article précédent, nous avons vu que la science nous offrait une lumière dans l’obscurité mais ne pouvait pas à elle seule nous révéler toute la réalité. C’est pourquoi il peut s’avérer intéressant et judicieux de faire un détour par d’autres disciplines comme les pratiques contemplatives du bouddhisme pour obtenir de nouveaux éclaircissements sur la question du libre arbitre.
Dialogue entre un moine et un scientifique
Dans le livre « Cerveau et Méditation » [b13], nous pouvons découvrir un fascinant dialogue entre Matthieu Ricard, moine bouddhiste, et Wolf Singer, neurobiologiste. Dans leur discussion étalée sur un peu plus de huit ans, ils abordent, entre autres, la question du libre arbitre et proposent leurs points de vue respectifs. C’est sur ce que nous allons nous pencher dans les lignes qui suivent.
Observations de la neurobiologie
Nous avons tous l’impression que notre soi génère nos pensées, nos décisions et nos actions. C’est pourquoi, dans l’expérience de Libet, nous nous attendions intuitivement à voir coïncider le moment de notre décision consciente avec le potentiel évoqué. Or Wolf rappelle que les neurosciences sont très claires au sujet de ce sentiment de « soi » et qu’il n’y a aucun centre localisé dans notre cerveau qui en serait la tour de contrôle. Dans notre cerveau, nous n’existons pas en quelque sorte. Ceci est totalement contre-intuitif puisque nous avons tous cette sensation ferme et continue d’être qui nous sommes. La neurobiologie affirme pourtant que nos processus mentaux sont le résultat de notre activité neuronale distribuées dans de nombreux centres interconnectés de notre cerveau. Sachant que nos connexions neuronales sont influencées par notre environnement, notre éducation, notre apprentissage et que l’organisation de notre cerveau a été modelé par l’évolution, nous voyons que notre libre arbitre est restreint mais pas complètement limité. En effet, puisque nos pensées et actions sont le fruit de processus passés, nous pouvons influencer nos décisions de demain en modelant nos états mentaux d’aujourd’hui. C’est la loi du déterminisme et de la causalité.

Vues contemplatives
Matthieu nous indique que le bouddhisme rejoint le point de vue des neurosciences en ce qui concerne l’inexistence d’un « soi ». Pour les occidentaux cela peut paraître surprenant mais le soi, selon le bouddhisme, est une construction mentale qui est le résultat d’un grand nombre de facteurs interdépendants. Matthieu dit d’ailleurs la chose suivante :
…si au lieu de percevoir l’ego comme un régent intérieur, nous le considérons comme un flux interdépendant d’expériences dynamiques – ce qui au début peut nous paraître relativement inconfortable –, cette nouvelle conception nous aidera à nous libérer de la souffrance pour la seule et unique raison qu’elle nous offre une vision des êtres et du monde davantage en accord avec la réalité.
Matthieu Ricard, Cerveau et Méditation
La réalité est que ni les neurosciences ni les moines bouddhistes ne sont parvenus à trouver cette entité que l’on appelle « le soi » ou « l’ego ». Comment le libre arbitre est-il donc perçu chez les bouddhistes sans l’existence du soi ? En fait, l’existence du soi n’est pas totalement contestée mais uniquement son existence indépendante. Le bouddhisme insiste en effet beaucoup sur la notion d’interdépendance de toute chose, que rien n’existe en tant quel tel, par lui même, de façon autonome, indépendamment du reste. Le bouddhisme ainsi n’anéantit pas non plus notre libre arbitre ni nos responsabilités comme le remarque Matthieu :
Nous ne pouvons pas choisir ce que nous sommes, mais nous pouvons choisir ce que nous voulons devenir. […] Il se peut également que nous n’ayons pas la possibilité de choisir le comportement que nous voudrions avoir sur le moment. Mais nous avons la responsabilité d’entamer un processus de changement.
MATTHIEU RICARD, CERVEAU ET MÉDITATION

La réalité
Qu’est-ce donc que le libre arbitre ? Sachant qu’une illusion étant, par définition, une perception erronée d’une réalité objective, notre libre arbitre peut probablement s’en avérer être une. Car ce dont nous sommes sûrs c’est que nos sens nous trompent souvent puisque nos perceptions sensorielles n’existent qu’au travers de constructions mentales. Le libre arbitre existe mais peut-être que nos conceptions intuitives et naïves ne sont pas les plus en accord avec la réalité.
L’ultime question est de savoir s’il existe bel et bien une seule et unique réalité. Affaire à cogiter.