Nous sommes en contact constant avec le monde par le biais de nos sens. Nos yeux s’émerveillent de la beauté d’un paysage, nos papilles gustatives se laissent tenter par de multiples saveurs, nos oreilles nous content notre environnement, alors pourquoi s’interroger sur la réalité de ce monde si tangible ? À vrai dire, les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent. Afin d’appréhender la complexité de la réalité, il faut nous intéresser à ce que disent les sciences d’un peu plus près, tant du coté des neurosciences que de la physique.

Notre cerveau nous ment
Même s’il est difficile à l’accepter, nous devons avoir conscience que nos sens nous trompent et que notre cerveau nous ment. En effet, notre cerveau n’a pas la capacité d’interagir avec le monde façon objective. Tous les signaux sensoriels qui sont menés par nos nerfs jusqu’au cerveau sont sujets à l’interprétation de nos circuits neuronaux. Nos perceptions passent toujours au travers de plusieurs aires cérébrales qui se chargent de traiter les informations et de les traduire. C’est ainsi que peuvent apparaître les illusions tant visuelles qu’auditives. Dans ces cas-là, notre cher organe pensant se retrouve contraint de donner un sens à des informations incomplètes ou contradictoires.
De plus, notre cerveau doit faire face aux limites de nos capteurs qui n’offrent qu’un aperçu du monde extérieur. Notre vision, par exemple, ne couvre en effet pas tout le spectre des ondes électromagnétiques qui existent dans la nature mais uniquement les ondes qui se trouvent entre l’infrarouge et l’ultraviolet. Au travers de l’évolution, il a donc été primordial de développer des interprétations qui se sont retrouvées encodées dans nos gènes et nous aident à naviguer dans notre environnement au quotidien. Et de cette manière, nous nous sommes graduellement retrouvés avec des informations non pas absolues mais relatives à leur contexte.
Un maître de l’interprétation
Nos cerveaux inventent donc des histoires dans lesquelles cohabitent faits et fantaisies. Michael Gazzaniga, un célèbre chercheur en neurosciences cognitives, a d’ailleurs énormément contribué à la compréhension de cette fonction cérébrale d’interprétation qu’il nomme « l’interprète ». Dans un de ses livres [b21], il partage ses découvertes résultant principalement de l’étude de patients dont le cerveau a été scindé en deux (« spit-brain patients» en anglais). Il s’agit principalement de personnes souffrant de sévères crises d’épilepsie qui ont eu une intervention chirurgicale consistant à séparer les deux hémisphères de leur cerveau par section du corps calleux (callosotomie). Après une telle opération, les deux hémisphères ne peuvent plus communiquer entre eux et tout échange d’information par le biais de connexion neuronale est alors devenu impossible. Gazzaniga nous offre de nombreux exemples étonnants qui mettent en valeur les différences entre nos deux hémisphères mais aussi dévoile comment notre « interprète » fonctionne.
Dans une de ses expériences [c7], Gazzaniga montra à un de ces patients, dont le cerveau était scindé en deux, une photo d’une patte de poule dans son champ visuel droit (qui est vu par l’hémisphère gauche de son cerveau) et une photo de scènes enneigée dans son champ visuel gauche (qui est vu par son hémisphère droit). Ainsi, son cerveau droit n’a pu voir que la scène enneigée. Ensuite, le patient dut choisir une image parmi une sélection de photos placées devant lui de telle sorte que les deux hémisphères pouvaient la voir. Sa main gauche (contrôlée par l’hémisphère droit) choisit une pelle (qui était la meilleure image correspondant à la scène enneigée) et sa main droite (contrôlée par l’hémisphère gauche) se dirigea vers une photo de poule (là aussi, l’image qui était la plus appropriée).

On lui demanda ensuite pourquoi il sélectionna ces images-là. Le centre du langage situé dans l’hémisphère gauche dit alors qu’il était évident que la patte de poule aille avec la poule. Mais lorsque le patient baissa son regard et vit sa main gauche montrant la pelle, il dit alors sans aucune hésitation que celle-ci était pour nettoyer le poulailler. On peut donc voir ici l’interprète en pleine action. L’hémisphère gauche ne sachant pas pourquoi sa main gauche avait choisit la pelle, utilisa le contexte pour donner un sens à son action. Ici, l’hémisphère gauche n’avait connaissance que de la patte de poule et donc que le choix de la pelle devait s’inscrire dans ce contexte. Ce qui est fascinant c’est que l’hémisphère gauche ne répondit pas « je ne sais pas » à la question du « pourquoi » mais inventa immédiatement une réponse plausible qui correspondait à la situation.
Notre cerveau crée, encore une fois, du sens là où il n’y en a pas.
Au-delà de nos sens
Au-delà de notre cerveau et de nos perceptions résident des mondes qui nous échappent, celui du microcosme et du macrocosme. Qui n’a pas rêvé un jour de parcourir notre galaxie et plus encore ? Qui n’a pas fantasmé sur la possibilité d’explorer le monde telle une fourmi ? Albert Einstein s’imaginait sillonner le monde à cheval sur un rayon de lumière, Niels Bohr rêva du modèle d’atome et tous deux ont dû, comme le disait Gaston Bachelard, penser contre leur cerveau pour concevoir la réalité d’une façon révolutionnaire.
L’univers et ses superlatifs de grandeurs nous est insaisissable tout comme le monde des atomes et particules, royaume de la physique quantique. Qu’est-ce que l’Homme à de telles échelles ? Face au cosmos, l’être humain est insignifiant mais face à un électron, il pourrait acquérir un statut de déité. Comment percer les secrets de la réalité lorsque nous nous trouvons à mi-chemin entre les abysses célestes et les profondeurs du vide ? En effet, si nous zoomons intensément sur la matière, au-delà des atomes, des particules élémentaires, que reste-t-il ? Du vide ? Trinh Xuan Thuan nous guide dans son livre [b3] à travers les méandres de la science pour nous enseigner que le vide est plein, ce qui ne fait qu’ébranler plus encore nos convictions sur notre monde. Ironiquement, après des siècles animés par « l’horreur du vide », l’existence du vide est, en effet, à nouveau débattue suite à la découverte de l’énergie du vide et des particules virtuelles, mais ceci est une autre (longue) histoire.
Encore une confirmation de plus que les lois de la nature ne nous apparaissent pas telles qu’elles sont.
Les paradoxes – une invitation à l’exploration du réel
Les paradoxes en science sont bien connus et ont été largement utilisés et explorés pour progresser dans notre compréhension du monde. Pour n’en nommer qu’un en lien avec la théorie de la relativité, il y a le paradoxe des jumeaux. L’un d’eux voyage dans l’espace à très grande vitesse et l’autre reste sur Terre mais, à son retour, le voyageur retrouve son frère jumeaux qui aura vieillit plus rapidement sur Terre que lui lors de son périple.
Mais pour toute personne n’ayant aucune affinité avec la science, il y a de nombreuses énigmes qui nous poussent hors de notre zone de confort et nous incitent à repenser nos certitudes. C’est le cas, entre autres, des rêves prémonitoires, de la télépathie et de ce fameux sixième sens. Au-delà des explications traditionnelles se pose la question de leur nature. Comment se fait-il que l’on puisse avoir accès à des informations semblant venues d’un autre lieu ou d’un autre temps ? Est-ce une illusion ou est-ce une autre facette du réel ?

Réalité relative ou absolue?
Y-a-t-il une réalité unique et absolue, identique pour tous ? L’être humain étant par nature réduit à ne connaître qu’un échantillon du monde qui l’entoure, peut-on prétendre pouvoir connaître ce qu’est le monde réellement ? En outre, il est évident que tous les langages sont imparfaits, que nos sens et notre cerveau sont approximatifs et que lois de la nature ne se laissent pas découvrir aisément. Il semble donc vain d’espérer avoir une connaissance parfaite de la réalité absolue, pour autant qu’elle existe. Ne serait-il pas plus judicieux de faire l’hypothèse que la réalité est, pour l’humain, insaisissable ? Certains scientifiques, comme Donald D. Hoffmann [d3], suggèrent même que le cerveau ne serait qu’une interface avec l’ultime réalité, qui agirait comme une sorte de « bureau » d’ordinateur permettant d’interagir avec le code informatique qui nous est caché.
Dans ce contexte, peut-on trancher entre le possible et l’impossible ? Est-il raisonnable de présumer la réalité ultime, y compris notre conscience, comme matérielle ou immatérielle ou un mélange des deux ? Peut-être que notre conscience se cache aux confins de la réalité, au-delà de nos mots, de nos sens et de notre compréhension. Alors, restons curieux et ouverts à tous les possibles. Pensons contre notre cerveau.
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